Société Nationale des Ingénieurs Professionnels de France
Relocalisation et réindustrialisation

Par Christophe Dubois-Damien Président du Comité économie d’IESF (Société des Ingénieurs et Scientifiques de France).

Le thème des relocalisations revient. En 2008, on avait pronostiqué le repli de la mondialisation qui remettrait en cause le prima de la finance sur la gouvernance des entreprises. 2008 marque une certaine cassure, dans la progression ininterrompue du ratio entre commerce mondial et production.

La prise de conscience que la perte de substance industrielle devenait un facteur de fragilisation commerciale et financière, la volonté de la Chine de maîtriser l’amont des chaînes de valeur, l’ascendant des modèles allemand et chinois face à la crise, la dilution de nos systèmes d’innovation, les fissurations de nos tissus sociaux sont autant d’éléments qui ont inscrit la thématique de la réindustrialisation et des relocalisations dans l’agenda politique. Une nouvelle étape a été franchie avec la résurgence du protectionnisme aux Etats-Unis.

La crise sanitaire s’ajoute à ce tableau, surlignant les dangers d’une division internationale du travail guidée par le seul objectif de la minimisation des coûts à court terme. Elle a mis en évidence la dépendance stratégique des pays avancés, dans les domaines sensibles de la santé (protections, principes actifs, matériels etc.), mais aussi des puces électroniques ou des terres rares avec des ruptures d’approvisionnement, encore tangibles. Mais a contrario, elle a révélé aussi les possibilités de reconversion rapide de nos industries et services, sous la pression de la nécessité, lorsque l’État appuie financièrement le mouvement.

Cette prise de conscience confère une nouvelle acuité à l’enjeu des relocalisations. Et les montants considérables mobilisés pour remettre à flot l’industrie hexagonale (automobile, aéronautique notamment) posent inévitablement la question de la conditionnalité de ces aides. Comment justifier de telles enveloppes auprès du contribuable, si ces aides ne viennent pas appuyer l’emploi local ? Ces éléments viennent ajouter à première vue des arguments à la réhabilitation de la géographie dans la conduite des politiques industrielles. Avec des conséquences palpables, du moins en termes d’annonces : Renault s’engage à stopper ses extensions à l’étranger et à développer la voiture électrique en France et en coopération avec ses concurrents européens. Sanofi relance son projet de créer une entité indépendante avec un catalogue de 200 principes actifs et des sites de production regroupés en Europe. La filière textile fait pression sur Bercy pour pérenniser la production de masques et de protections sur le territoire. La filière électronique cherche des parades locales pour renforcer la sécurité de ses approvisionnements.
Tout cela participerait à une lente érosion de la mondialisation débridée.
A condition de prendre le tournant de l’industrie du futur, un rapprochement entre production et consommation pourrait s’opérer sous l’effet de trois mouvements en cours : l’automatisation des sites de production, l’augmentation des salaires dans tous les pays dits à bas coûts et l’évolution d’une partie de la demande pour une personnalisation de masse.

Cependant, cette contre-tendance à la relocalisation est en lutte avec des fondamentaux puissants :

  • La baisse du revenu des ménages, inhérente à la crise, et la dégradation inédite de la rentabilité des entreprises qui maintiendront la pression sur les coûts, notamment dans les choix de sous-traitance.
  • La primauté des fonds de gestion dans le capital des grandes entreprises qui n’a pas été fragilisée par la crise : ces fonds continueront de faire prévaloir une approche mondialisée, avec son lot de cessions, de concentration, d’opérations transnationales qui ignorent les frontières,
  • L’impact macro-économique de la crise qui sera très différencié selon les régions. Ce qui rendra un repli sur les frontières hexagonales ou européennes plus difficile ou aléatoire pour des groupes, dont les choix de localisation répondent d’abord au critère des débouchés locaux.

Christophe Dubois-Damien Président du Comité économie
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